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7)La méditerranée.

 

Le bateau huissier*, vogue calmement au vent arrière, sur une mer presque plate en vue des côtes italiennes que nous longeons à bonne distance pour éviter les rochers et les écueils. Notre navire est de fabrication génoise,  les bateaux les plus solides, réputés pour leur fiabilité, tout comme sont renommés les compagnons charpentiers italiens pour leur savoir faire.


J'ai dormi avec ma douce Nour dans la paille à l'entrepont, au-dessus des chevaux dont nous sentions la douce haleine alors qu'elle me comblait de ses faveurs.

 Me laisser aller aux bras de ma fougueuse tzigane ne m'empêche pas de penser à Marie, ma femme que j’ai laissée à Martailly, avec mon fils Eugène, aux bons soins de mon second frère Raymond, paysan de son état. Nous sommes fin juillet, les foins et les moissons sont finies dans ma Bourgogne bien aimée, la vigne doit déjà montrer ses grappes et Marie emmène sans doute paître nos chèvres dans les clairières de la montagne de Martailly. Elle aide sûrement mon frère et ma mère à la ferme: aller chercher du bois mort en forêt, donner à manger aux cochons et à la volaille. Elle aide aussi à tisser le lin pour faire des tuniques et des sarraus*, elle entretient notre logis et sarcle les pommes de terre et les navets que j’ai plantés avant de partir. Elle va dans la forêt cueillir les mûres et les fraises avec mon petit Eugène, elle lui apprendra, cet automne, à reconnaître les ceps et les bolets, les mousserons et les pieds de mouton qu’elle sait si bien cuisiner. Elle me manque, comme me manque ma forge, mes bois et ma rivière, les champs et les vignes de mon village, mes vertes prairies.
J’ai le mal du pays ou le mal de mer, je ne sais, alors que mer grossit sous un vent de nord qui nous pousse vers la Sicile que nous contourneront par le sud, pour éviter le détroit de Messine et ses dangereux courants.
Le « Baucéant » vogue et tangue sur une mer formée, ce bateau génois a été loué par Saint Louis à un armateur de Byzance, il emporte, 60 chevaliers, 200 chevaux, autant d’écuyers, 120 manants et roturiers, 35 marins byzantins ainsi que le fourrage pour les bêtes et de la nourriture pour un mois de navigation.
Nous devrions être en vue des côtes siciliennes dans trois jours si le vent continue de nous pousser dans la bonne direction, puis, après l’escale d’Agrigente, nous obliquerons en direction de la crête où nous arriverons en six ou huit jours, si tout va bien.

Nous naviguons au plus près des côtes pour avoir des repères visuels portés sur les cartulans*, des guides, qui ne manifestent aucun souci d'exactitude topographique ni d'échelle, mais présentent tous les détails de la côte, avec les écueils et les phares. Ces portulans, très utiles le long des rivages, n'apportent évidemment aucune aide à la navigation au long cours.
Nous longeons les côtes nord de la Sicile le soleil frappe fort sur le pont et je pense à mon grand frère Yves, mort ou captif quelque part en Palestine. Il est parti à 20 ans, se croiser il y à vingt années de cela, lors de la croisade de Frédéric II, et il me manque; nous étions proches et pourtant rivaux, sa foi n’était pas la mienne, il était plus païen que chrétien. Il croit aux forces de la nature, aux esprits animaux, il sent et voit Dieu dans chaque être vivant. C’est une force de la nature,  un gladiateur qui parle fort, il jure, il est exubérant, il plait aux filles, je suis un peu jaloux de sa joie de vivre, de sa force de caractère, de son assurance, moi qui suis un peu timide, avec mes doutes et mes peurs, j’envie sa gouaille, sa force de taureau, son appétit de vivre. Il est forgeron et peut de ses bras étouffer un sanglier; comment un tel colosse a t il pu défaillir, son ange gardien l’a t il abandonné? Il me manque et je rêve, bercé par le roulis, de retrouver sa trace, ne serait ce qu’un témoignage, où es tu Yves?
Notre vaisseau arrive en vue du cap de San Vito et le Baucéant change de bord fréquemment  pour pouvoir remonter au vent qui vient de face maintenant, les marins sont dans les gréements et hurlent en changeant l’orientation des voiles toutes les heures au prix d’efforts surhumains; ces forçats de la mer avec leurs bras comme mes cuisses m’impressionnent et me fascinent par leur savoir, leur force et leur gentillesse. La plupart sont grecs de Constantinople, mais ils parlent aussi bien l’arabe que le français, ou l’italien,  étant accoutumés à transporter toutes sortes de cargaisons, toues sortes de gens sur tout le pourtour de la Méditerranée.
J’interroge tous les marins et les croisés qui ont déjà été en Palestine, la plupart n’ont jamais entendu parler de mon frère, le géant bourguignon, mais un soir un croisé qui a entendu parler de ma recherche vient me voir, c’est un templier; il est écuyer d’un chevalier gascon et il participé aux combats du gué de Jacob en 1234 lors de la destruction d’un puissant château au bord du Jourdain, par les sarrasins de Saladin.
Il a entendu parler d’un guerrier bourguignon surnommé gladiateur qui s’est distingué par sa bravoure et sa force lors de La défense de la forteresse prise d’assaut par le sultan; on dit de lui qu’il se battait seul contre dix musulmans et qu’il a couché un cavalier et sa monture à la seule force de ses bras.


Le Baucéant vogue et roule le long g des côtes de Sicile en direction de notre escale d’Agrégeante, j’ai une piste, un espoir quelqu’un a peut être vu mon frère en vie.
Il se fait tard je vais rejoindre ma douce et volcanique Nour dans la paille de l’entrepont, les voiles claquent, le bateau grince, je vais  dormir un peu.

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