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Arthur, le dur au cœur pur.

 

 

Arthur est un doux, il a le visage de saint Jean Baptiste, et la carrure d'un athlète grec ; il est beau comme un dieu, avec sa longue barbe brun roux, ses bras puissants et gracieux, ses mains longues et déliées, son torse large, ses épaules carrées, et ses yeux clairs.

 

Il semble sortir tout droit de la Bible, ou d'une gravure du moyen-âge, un compagnon tailleur de pierre sur le chantier d'une cathédrale ou d'un monastère.

Je le rencontre un soir assez tard, après une tournée des grands ducs qui m'a fait oublier l'endroit où j'ai garé ma voiture.

Accompagné d'un « ami » d'occasion, je lui demande s'il peut me ramener au bercail, et gentiment il accepte alors qu'il a une journée de maçon dans les pattes et dans le dos.

Nous nous mettons donc en route dans sa vieille guimbarde et nous arrivons chez moi.

Le bel athlète m'intrigue et j'ai envie de le faire parler, aussi je lui demande d'attendre un peu au seuil de la maison et je reviens quelques instants plus tard avec un flasque de vieux rhum et un peu d'herbe qui fait rire.

Nous devisons de tout et de rien, dans la voiture, comme des adolescents, nous racontons chacun notre vie, tous heureux de notre rencontre et du bonheur de fumer entre amis.

L'alcool et la fumée aidant, nous nous livrons un peu et Arthur se met à raconter, mais laissons le parler, car en plus d'être beau, il a une voix suave et le verbe haut.

 

« J'ai 27 ans, je m'appelle Arthur, je boxe au "full contact club" depuis cinq ans, et j'ai acquis un petit niveau de champion régional en 2016.

Par contre je me suis fait désosser aux championnats de France, et la branlée magistrale que j'ai reçue m'a convaincu d'arrêter la boxe américaine, appellée aussi full-contact.

Je me résous donc à jeter l'éponge définitivement et je me rends une dernière fois à l'entraînement pour saluer mes camarades et l'entraîneur, et rendre mes gants.

Là, alors que je fais un dernier petit échauffement sur un sac de sable, pour partir en beauté, un type, costard cravate, chevalière au doigt, cheveux gominés, se pointe et m'interpelle.

Il m'a vu boxer sur une vidéo sur youtube, vidéo tournée par un ami.

Il aime mon style de boxe et veut me prendre dans son écurie, comme jadis le faisaient les marchands de gladiateurs dans la Rome antique, il lui manque un lourd léger.

Croyant d'abord à une plaisanterie, je le regarde dubitatif, mais il renchérit, et me donne trois mois pour me préparer, après quoi il propose de m'emmener aux championnats du monde amateurs, à Rimini si j'accepte de boxer pour lui.

Un peu sceptique, j'accepte sa proposition, me disant que je n'ai pas grand chose à perdre, et dès le lendemain je me mets à l'entraînement.

Je m'impose un traitement de malade, digne de la légion, ou des commandos de marine.

Lever à 5 heures trente, une heure de footing, petit déjeuner, ma journée de maçon, à porter les sacs de ciment de cinquante kilos, à charger les moellons, un dans chaque main, sur le camion, à monter ou démonter les échafaudages.

Le soir après ma journée de travail, séance de frappe dans le sac ou avec des camarades, deux heures, après cela, dodo.

Le grand jour arrive, nous partons à cinquante : trente cinq guerriers, remontés comme des coucous, tous plus ou moins affutés et préparés, et quinze accompagnateurs : coachs, soigneurs, médecin et dirigeants de la ligue nationale de boxe américaine.

Les trois premiers jours à Rimini, le Saint Tropez local, se passent sans combat pour moi, je me contente d'entretenir ma forme, qui est exceptionnelle, et d'assister aux combats des autres concurrents, venus des quatre coins du monde, la fine fleur de la savate et de la boxe mondiale.

Au soir du troisième jour, le moment de la pesée arrive, et là je prends une claque monumentale :

Quelques jours plus tôt, le règlement du championnat WAKO,-World Association of Kickboxing Organizations-, a changé ; la limite entre lourds et lourds légers est passée à 80 kilos, et avec mes 82 kilos je vais devoir boxer en catégorie poids lourds contre des monstres de 120 kilos et plus, avec des bras plus épais que mes cuisses, et 40 kilos de muscles de plus que moi, dans les bras, les pectoraux et les abdos.

Je fais connaissance avec mes adversaires, j'aurais trois combats à mener.

Je découvre un russe de de 122 kilos, trois ritals, respectivement 106, 91, et 117 kilos, un mongol au regard noir, une montagne de deux mètres qui frise avec les 130 kilos, un ukrainien, et un turc, poilu comme un singe.

Autant vous dire que je n'ai pas dormi, j'ai gerbé toute la nuit, je stresse comme une vieille chèvre qu'on mène à l'abattoir, je tremble, je claque des dents littéralement, sans pouvoir me contrôler, je pisse toutes les heures et j'ai la chiasse.

Je suis « malade de trouille », je sens que je vais prendre trois raclées, sans pouvoir terminer un combat, ou même pire sans être en état de mener le second, si je me fais détruire la face au premier.

Rincé, vidé, les yeux bouffis par une nuit sans sommeil je me demande pourquoi je me suis engagé dans cette galère, et j'envisage de renoncer et d'assister aux combats, en simple spectateur.

C'est alors que se produit une sorte de miracle sportif ou psychologique ou les deux.

Au petit matin, ma douce m'appelle de France, elle me demande comment cela se passe, et je lui fait part de mon profond désarroi face aux montagnes de muscles qui vont me piétiner, comme on attendrit un steak, avant de le bouffer tout cru.

Et voilà ce qu'elle me répond le plus tranquillement du monde :  « Pète leur toutes leurs dents, j'ai confiance en toi, je t'ai vu à l'oeuvre, je sais que tu es le meilleur, je t'aime » .

En un instant, vous m'entendez, instantanément, ma peur s'évanouit comme par enchantement : Plus de mal au ventre, plus de diarrhée, je suis calme, serein, détendu du gland, une grande paix se fait en moi, et je sais, je sais au plus profond de moi, que je vais me battre comme un chien, pour Laure, et pour les enfants que j'ai envie de lui faire, tout à coup, pour la première fois de ma vie.

Je m'échauffe consciencieusement : Adducteurs, abdominaux, pectoraux, bras jambes, cervicales, poignets, que j'ai un peu sous dimensionnés et fragiles.

Je suis sur le ring, l'arbitre, un géant de deux mètres au regard doux, donne ses instructions et énonce le règlement : Il est simple, tous les coups sont permis à l'exception des coups de coude.

Je touche une première fois les gants de mon adversaire et le gong retentit dans une salle bondée qui hurle déjà, toute acquise à son champion local, un italien de 91 kilos, taillé comme un lutteur de foire, aux biceps démesurés.

Là mon esprit s'envole, je suis d'un calme olympien, mon cerveau se met sur OFF, et je deviens à la seconde même un homme de néanderthal.

Sans que je décide quoique ce soit, sans une once de réflexion, le mental déconnecté, en mode purement automatique, bestial et archaïque, je me regarde, déclencher le feu des enfers, la foudre et le tonnerre.

Je bondis pied en avant, sur mon adversaire, qui ne voit rien venir, il prend un coup de pied de face, perforant, pile sur son plexus solaire, j'ai le temps de voir un instant, ses yeux exorbités.

Il se baisse violemment, sous ce premier impact, et se plie en deux de douleur, mon poing droit est déjà parti et accueille avec une force inouïe son menton qui descendait vers le sol.

La suite est une série de crochets, une rafale de gauches, de droites, de directs qui touchent tous, le menton, les tempes, le foie, les côtes du malheureux qui n'a pas esquivé la moindre de mes attaques.

Le combat est plié en 9 secondes, Vito est dans les cordes, il prend une dernière droite, se couche, abattu, pour deux longues minutes avant de se relever pantelant, le nez en sang, une arcade ouverte, les deux yeux fermés, gonflés par mes coups de boutoirs.

Il sort du ring porté par ses soigneurs, il n'a rien compris, je suis frais comme un gardon, je n'ai pris aucun coup, la salle se tait, les hurlements ont fait place à un murmure que je ne sais interpréter, déception d'avoir vu leur champion massacré, ou respect pour le moustique, vainqueur improbable du combat.

Mon deuxième combat est plus sérieux, j'ai affaire à un autre italien, 106 kilos, mais qui a ramassé pas mal lors de son premier combat.

Il est plus grand que moi, plus lourd aussi, bien protégé par sa masse musculaire, un seul point faible il est plus lent.

Je danse, je lui tourne autour, j'esquive, je le fatigue, je l'agace-je le vois dans ses yeux-je le fais se déplacer tout le tour du ring, cette fois ci, je suis un chamois, un gibbon, ou tout simplement un chat.

Le sang de mes aieux, l'instinct de survie, mes vieux gènes de cro-magnon commandent à tous mes muscles, et Dario s'essouffle, il vocifère, de sa voix rauque comme un taureau à qui on a planté les banderilles, ou comme brâme un cerf au combat.

Mes sauts de cabri, m'ont fatigué moi aussi, je suis très affaibli, j'ai perdu énormément d'énergie et d'influx nerveux.

Mes coups ne portent plus, je suis en sous régime, je baisse ma garde, j'ai du mal à tenir mes poings en haut, mes gants pèsent une tonne chacun, je me barricade pourtant, courbé, me protégeant tant bien que mal de la pluie de coups qui s'abat sur moi.

La cloche me sauve du KO, la pause est bienvenue, l'eau fraîche me paraît être un nectar des Dieux,

je reprends mon souffle, le coeur ralentit un peu, le calme et la confiance sont toujours là, je me bats pour le titre champion du monde, je n'ai rien à perdre.

Les mots de Laure me reviennent à l'esprit tout à coup :  « J'ai confiance en toi, tu es le meilleur... ».

Ai je seulement le droit de la décevoir ? Non, je vais tout donner, on verra bien.

Le troisième round est plus équilibré, nous sommes tous deux fatigués, les coups font moins mal, j'enchaîne, j'esquive, je frappe, j'avance, j'ai encore les jambes, il souffle, il bave, je place une bonne droite, il vacille, manque de tomber, il ne m'atteint plus, je mets un crochet du droit qui touche sa tempe gauche, le gong retentit, on a fini.

L'arbitre lève mon bras, j'ai gagné aux points mon deuxième combat, j'exulte, je respire à pleins poumons, j'ai besoin d'air, la salle applaudit à tout casser, les ritals m'ont adopté, ils sont subjugués par ma boxe ou par mon style, je ne sais, je suis à un combat du grand chelem.

Je commence à y croire, il me reste une épreuve, ultime, un obstacle, une confrontation, je fais la pause, je regarde la fin du combat qui va désigner mon adversaire.

Encore un italien, de 95 kilos contre un mur de muscles, un Ukrainien, au crâne rasé, de 100 kilos, qui frappe comme une brute, mais esquive mal et prend des coups lui aussi, car l'italien, brave et endurant, ne lâche rien.

J'ai repris mes esprits, le calme est revenu, la détermination aussi, je pulse à 50, bizzarement, je n'ai pas mal aux muscles, l'adrénaline et les endorphines, sans doute endorment la douleur.

J'ai une vision, je vois nettement le visage de Laure, sa bouche pulpeuse ; ses yeux me fixent avec amour, elle me sourit, ses longs cheveux auburn, flottent au vent, sous un soleil de gloire, je lis sur ses lèvres : « vas y pète lui toutes les dents... ».

Sergueï se présente et touche mes gants, il est marqué, un œil au beurre noir, paupières fermées, le gauche, il n'a donc plus de vision binoculaire, ennuyeux pour apprécier les distances.

Une mèche dans le nez, donc respiration et ventilation réduites de moitié, il me fait un peu pitié, peu importe, je vais le massacrer et l'achever, le titre est en jeu à portée de main.

Le premier round est une boucherie, Sergueï ne fait que recevoir, mes coups moins violents qu'au début arrivent pourtant, précis, sur le menton, dans sa face, au foie, je prends mon temps, il est à ma merci, il est à bout.

Cependant cette montagne de viande Ukrainienne, ne veut pas tomber, il encaisse le bougre, il est dans le coin, il ne bouge presque plus, la cloche retentit, aux points je suis loin devant.

Le deuxième round commence comme a fini le premier, je le massacre de mes coups, je le déglingue, je le pilonne, il ne veut toujours pas tomber, il est dans le coin, recroquevillé, les deux gants sur la tête, il attend la délivrance, mais reste debout.

Au bout de trente secondes d'un déluge de droites et d'uppercuts, stoïque et brave, acculé dans les cordes, tout son corps semble implorer que l'enfer s'arrête.

L'arbitre s'interpose, il arrête le combat, Sergueï n'y voit plus rien, ses yeux sont gonflés, son visage est bouffi et tuméfié, il n'arrive plus à soulever ses gants, une arcade saigne abondamment, le médecin monte sur le ring, et confirme l'avis de l'arbitre, correction terminée pour Sergueï.

Je suis debout les bras au ciel, je respire bien, j'ai le cœur qui tape comme un sourd, la salle-huit mille personnes- est debout elle aussi, elle n'en finit pas d'applaudir, les flashes crépitent, par milliers, comme un feu d'artifice.

Je suis champion du monde ; Laure, je voudrais tant qu'elle soit là, je pleure, j'ai envie de lui faire un petit ».

Il est tard, la dernière cigarette mal roulée a fini de tourner, la flasque est vide, Arthur me dépose à la maison et va rentrer chez lui ; demain, bétonnière et moellons, taille de pierre et ciment, son visage est radieux, humble et doux, j'ai du mal à l'imaginer en gladiateur et pourtant je n'ai pas envie de m'y frotter; magnanime et généreux il me propose d'apprendre à me battre.

 

 

 

 

 

 

 

 

Commentaires

  • Merci pour ton travail!tu m'a fais re-decouvrir ma propre histoire tellement c'est bien écrit!les émotions sont retranscrite à merveille c'est génial!

  • Je n'ai fait que retranscrire.... tu sais conter à merveille, je suis preneur de tes leçons dès que le printemps revient. Chez moi sur le pré, je vais te défoncer, ou essayer en tous cas, bises à toi Gladiator....

  • Epoustouflant... le rythme est maintenu tout au long du texte. On est sur le ring avec les boxeurs. Le premier combat d'Arthur est contre lui-meme,
    puis la rage au corps, souffrir pour accéder a tout prix et vaincre pour Laure...
    Vraiment admirative

  • Merci du commentaire Fauvette, j'aimerais avoir la combattivité d'Arthur, pour ceux que j'aime....

  • C'est très bien ecrit

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