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12) Mon frère.

Le village où se trouve le couvent s’appelle Itibâr ou l’Expérience, il se trouve à deux jours de chevauchée d’Ascalon et sire Jocerand m’a autorisé à emprunter un de ses chevaux pour aller à la recherche de mon frère Yves; j'ai mis des habits arabes pour ne pas risquer la mort, j’ai cheminé dans la garrigue et la pierraille pendant deux jours et les bédouins m’ont indiqué les chemins pour arriver en vue du village où je vais peut être retrouver enfin mon cher frère.

 

 L’andalou de messire Jocerand m’a porté vaillamment à travers les collines et les vallons, il a le pied sûr et il est ferré par mes soins, je l’ai fait boire à un ruisseau au fond d’un vallon où j’ai bivouaqué. Il est entier et gris  pommelé, fort et généreux, Jason a combattu avec bravoure à Damiette et à Mansourah, il me conduit sûrement à travers les genévriers et les myrtes, mon coeur bat comme un sourd à l’idée que je vais peut être revoir mon cher frère.
J’arrive au monastère en fin d’après midi, j’attache mon étalon à un vieil olivier qui pousse devant le vieux couvent en briques couvert de tuiles romaines, trois chèvres  grignotent  les branches basses d’un gros figuier, il fait une chaleur étouffante en cette fin du mois d’avril; 
Je salue un vieux bédouin assis à l’entrée de la bâtisse, et je pénètre à l’intérieur de ce qui ressemble à un patio ou un petit cloître. 
Au centre de la cour en terre battue une petite fontaine d’où jaillit un mince filet d’eau vertical où je me désaltère, sur un banc à l’ombre de la galerie,  trois arabes sont en burnous et parlent en me regardant l’un d’eux se lève, il est immense, il me demande en arabe qui je suis; 
Je bredouille_ « Yves ?…Je suis Louis.. » 
Le géant s’approche, c’est lui,  il me prend dans ses bras, mon coeur va éclater il me brise les os de ses bras puissants, nous pleurons tous les deux, le temps s’arrête, un léger courant d’air me rafraîchit la nuque, un jasmin quelque part exhale son puissant parfum, deux colombes se répondent  sur le toit de la mosquée; nous restons silencieux, les minutes passent et nous restons enlacés un long moment devant les deux arabes ébahis, de voir les deux Franjis en sanglots.

J’ai retrouvé mon frère, la chair de ma chair, mon coeur exulte après ces longues années de silence et ces quatre ans de recherche, le ciel est pourpre, des vols de pigeons le traversent , un léger courant d’air chargé des senteurs de la garrigue et du jasmin nous rafraîchit un peu.

Yves aussi respire cet air vespéral à plein poumons, il  lui semble qu'il respire pour la première fois, comme un nouveau né;  il respire à l'unisson de l'univers tout entier ; son coeur, son corps, ont trouvé la note, l'accord, et vibrent en harmonie avec la création.

 Yves   assiste , impuissant et consentant, à une sorte de putsch au plus profond de son être; un Yves  d'il y à très longtemps  refait surface,  bouscule l'actuel,  le renverse, le chamboule, le bouleverse; Yves se laisse envahir par une émotion non pas inconnue,  mais oubliée, venue du fond  des âges et qui le submerge, en vagues longues, à la fois douces et puissantes, une émotion à la fois extraordinairement complexe et pourtant d'une absolue unité;  faite de souvenirs, de parfums, d'images, d'impressions, de sensations, de lumière, d'atmosphères, de lieux et de sons, de voix humaines et de rires d'enfants.

Yves, cet être d'une seule pièce, sans raccord ni soudure, d'un coup  découvre ou plutôt redécouvre la multitude, l'étrangeté, l'inconnu et la complexité en lui.

Il avait passé sa vie à défier la mort, non à la provoquer, encore que, mais à la rechercher, la frôler, la côtoyer, la tutoyer; sans doute pour la conjurer, l'approcher, l'apprivoiser peut- être.
Aujourd'hui, la mort ne semblait plus une ennemie, elle avait perdu son caractère maléfique et macabre ; des évènement tristes ou  redoutables qu’il avait vécu avec elle, la mort  était devenue ordinaire et nécessaire, dans l'ordre naturel.

Ses sens, son être d'ordinaire si entier, si univoque, semblent avoir pris une dimension nouvelle, et pouvoir contenir l'univers.

 Il rayonne, il me prend à nouveau dans ses bras, ce qu'il n'avait jamais  fait de sa vie, m’enlace et me  presse longuement contre sa poitrine, qui semble vouloir éclater, son coeur exulte.


  Un faucon, dans la quiétude du soir , glissa silencieusement, haut dans le ciel,. 
Le crépuscule s'achevant dans une apothéose rose et lumineuse, promet un lendemain radieux, c’ést l’heure de la prière, les fidèles affluent doucement et entrent dans le petit couvent.
Mon frère m’emmène dans une grande pièce dallée où les fidèles se sont assis en tailleur avec des cymbales et des tambours.
La musique démarre rythmée et lancinante, un chanteur récite une litanie répétant les noms de Dieu qui d’après les soufis, contiennent toute la Vérité de l’homme, du divin et de l’univers.


En effet, cette proximité avec Dieu, menée par l’ivresse et l’émotion de la musique et la danse, transforme le corps et l’âme dans une sorte de combustion, une union liturgique avec Dieu.  La  musique,, doit amener à la transe et à un  état spirituel, au contact de Dieu, par la purification de l’âme et l’expérience de l’amour, de l’humilité et de la fraternité, elle permet d’accéder à un état de grâce divine. 

La cérémonie terminée nous mangeons des olives et du fromage de chèvre, avec du kéfir*, je ne me lasse pas d’écouter mon frère raconter sa nouvelle foi; lui qui ne fréquentait guère l’église préférant le temple des forêts et des sources.

 Doté d’une grande sensibilité  il sentait l’ âme des  êtres et des plantes, il sentait en lui la germination des graines encore enfouies sous la terre, la puissance de la sève qui irrigue les arbres, la macération des fluides qui font  éclore les bourgeons.
Il sentait le moindre parfum de fleur à peine  éclose, les exhalaisons des terres
fraichement labourées; ces forces puissantes et irrésistibles de la nature, il en  ressentait l’oeuvre en lui même; des tressaillements dans ses reins, des démangeaisons, des tiraillements le parcouraient et le poussaient  à s’unir à ce grand mouvement de la vie qui s’ éveille après  la longue nuit de l’hiver.

Nous parlons toute la nuit, après avoir parlé de nos fois respectives nous évoquons la guerre et ses affres, je lui donner les nouvelles du pays aussi, l’aube naissant nous allons nous reposer un peu au dortoir du couvent.

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