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4) L’embarquement.

 

 

Le jour se lève, il fait grand beau temps, le ciel est pur limpide et lumineux, comme lavé de ses nuages de la veille; un soleil de gloire  encore caché sous l’horizon inonde l’azur de ses rayons divins, lumière solaire et matinale, promesse de bénédictions divines et de victoires futures pour la formidable armée qui va se mettre en route sur Mare Nostrum pour les côtes du levant, et pour la seule gloire de notre Seigneur JésusChrist.

 

 

J’ai dormi sur la plage avec mes camarades maréchaux-ferrants; la nuit a été douce, après une soirée de chants et de danse au son du luth et des tambourins; les gitans et les tziganes, venus en nombre honorer, au 15 août 1248, les quatre Maries de la mer: Marie Jacobé, Marie Salomé, Marie Magdeleine, et surtout Marie Sarah, la vierge noire.

 

Les nomades venus de toute l’Europe, nous ont enivrés de musique gitane  et de vin de Mauguio, les femmes nous ont régalé de hérisson à la braise, et nous ont prédit notre avenir fait de longues navigations sur une mer apaisée, de durs combats face aux sarrasins, et de grandes victoires sur les incroyants.

Nous reviendrons, me dit l’une d’elle, Nour, couverts de gloire et de trésors, moi en particulier, elle me voit rentrer sain et sauf, glorieux et anobli par mon bon sire de Brancion en remerciements de mes loyaux service.

Marie Sarah est cette païenne de haute naissance, convertie au Christianisme,  venue de Haute-Égypte, épouse répudiée du roi Hérode, qui a accueilli les trois autres Marie après leur fuite de Palestine;   émigrée avec d’autres sur les rives du Rhône, Sarah a eu un jour une vision qui l’ a informée que les saintes présentes à la mort de Jésus, au mont des oliviers, allaient venir vers la côte provençale au lieu-dit Oppidum-Râ (ou Notre-Dame-de-Ratis) et qu’elle devait les aider.

Ce lieu fut dès lors dédié au culte du dieu égyptien du soleil, Râ devenant Ratis, ou barque. Les voyant enfin arriver sur leur embarcation, sur une mer agitée, sur un  bateau menaçant de se renverser, Sarah les aida à atteindre la terre ferme, flottant miraculeusement sur les eaux, tout comme le Christ.

Voilà ce que j’ai appris de Nour, la voyante qui m’a raconté l’histoire des gitans, et qui m’a appris bien d’autres choses, plus intimes, sur les mystères de la femme et de l’amour, en cette ultime nuit sur la plage d’Algues mortes. 

Véritablement la femme est pour moi, une source mystérieuse et infinie de connaissances et de savoirs: la douce et rebelle Nour m’attire comme un aimant attire le fer, elle me fait l’effet qu’une biche fait au cerf en rut, puis se fait désirer, se refuse à mes assauts, puis se ravise lorsque je la crois hors d’atteinte. Elle s’amuse à me voir languir et se joue de mes implorations, elle m’apprend la patience et la douceur afin de dompter ma fougue et ma bestialité; elle s’abandonne enfin à nos désirs conjoints au moment même de rendre les armes, pour faire place à un mariage sacré de nos corps et de nos âmes; au moment ultime je rends grâce à Dieu et à la création pour ses bienfaits et pour ma vigueur. Ereintés, nous nous endormons enlacés à même le sol sous une couverture de laine, je rends grâce  une dernière fois, longuement à ma mie  puis m’endors tout contre elle, comme un enfant gâté.

  Le jour est maintenant levé, notre tâche est de charger nos destriers* et nos chariots, aux côtés des tonnes de provisions, des milliers de chevaux et d’hommes d’armes, sur plus de sept cents bâtiments de mer, tout en restant à l’abri d’une violence des flots.

 

Les chevaux, destriers*, palefrois*, affrus* et sommiers* sont tous en grande condition, et le fourrage est entassé en grande quantité pour les maintenir en forme pour le périple à venir et les combats futurs.

Les chevaux de guerre sont pour la plupart des genêts* d’espagne, des andalous, des cartujanos* ou chartreux, provenant des élevages de nos frères cisterciens, près de Jerez de la frontera.

Cette race mise au point par croisements, à partir de races espagnoles locales et de souches arabes, donne des chevaux puissants, à l’arrière train fortement musclé, aux épaules  inclinées, au thorax  ample et profond. Leur garrot est assez bas, le dos  est plutôt court et droit,  la croupe est ronde, ou inclinée, avec une queue attachée assez haut, les  membres sont  forts et surtout le cheval lusitanien est doté d’un caractère doux et guerrier à la fois: « en avant calme et droit ».

 

La formidable armada se dirige toute entière vers les vaisseaux, l’immense marée humaine et animale  chemine dans les sables vers les pontons et les passerelles des vaisseaux: nefs*, cogges*, navas* et bateaux huissiers*, adaptés au transports des chevaux.

Il nous faut faire monter les montures et les chevaux de port, sur les passerelles mouvantes; les bêtes, habituées à la terre ferme, rechignent à s’aventurer sur ces planches qui oscillent au gré de la houle. Il nous faut déployer des trésors de patience et d’ingéniosité pour convaincre ces animaux sensibles de rentrer dans le navire par la grande porte relevée comme un pont levis.

Les bêtes sont ensuite toutes sanglées au plafond de la cale, chacune dans sa stalle de 7 mains de large; comme suspendue, les sabots touchant à peine le plancher, et ce pour éviter les chutes en cas de gros temps.

 

Pour moi comme pour les  vingt cinq chevaux de messire Jocerand, c’est la première fois que j’embarque, première fois même que je vois la mer et ses vagues menaçantes.

Je n’ai jamais quitté mon village de Martailly; tous les chevaliers, et les servants sont comme moi des hommes de la terre, de la pierre et des forêts; nous connaissons  l’eau par les sources et les étangs, par la Grosne et ses crues d’automne ou de printemps qui font des prairies un vaste miroir, par la Saône qui « coule si lentement qu’on a peine à décider si son courant se dirige vers le nord ou vers le sud » aurait dit le grand César dans la guerre des Gaules.

Le Faucon, le Busard du Temple, la Bonne Aventure, la Rose du Temple ou la Bénite, autant de noms pour des navires qui me semblent énormes moi qui n’ait fait que pêcher en barque sur ma Grosne bourguignonne.

Le 27 août 1248, après un mois de chargement, le convoi géant s’ébranle vers le sud, les sept cent navires hissent les voiles, et se hâtent lentement vers  les côtes italiennes, direction la crête puis  Chypre.

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