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un procès bien arrosé.

Dans les années soixante, les paysans de mon village natal avaient été démarchés par un marchand de grains,

 celui ci s'engageait à leur fournir gracieusement la semence de sorgho, les cultivateurs de leur côté s'obligeaient à lui vendre la totalité de leur récolte à un prix garanti et fixé à l'avance. Le prix garanti, n'était pas faramineux, mais avait un gros avantage, il évitait d'avancer le prix de la semence et assurait un revenu prévisible, réalité peu courante dans la vie agricole, soumise aux aléas de la nature et rythmée par les caprices de la météorologie.

Le temps vint de la moisson, qui fut bonne, le négociant avisa les paysans de livrer leur récolte, en gare de Sennecey, où un wagon attendait les livraisons.
Cependant, ces derniers en consultant la presse agricole avaient découvert qu'ils toucheraient un prix dérisoire pour leur grain.
Se jugeant bernés, ils vendirent à la coopérative et empochèrent plus du double des sommes escomptées par leur contrat.

Le négociant ne s'en tint pas là et expédia tout ce beau monde au tribunal. Huissier, pour enregistrer les quantités livrées, avocat qui envoya les lettres d'assignation et tout le tintouin.

Le jour du jugement chacun laisse ses occupations et tout le monde se retrouve au tribunal.

Par un obscur mélange de hasard de procédure et d'argutie juridique, les paysans ont gain de cause et gagnent leur procès.

Heureux du dénouement les villageois laissent exploser leur joie, on se congratule, on se tape dans le dos, on s'embrasse, et l'on s'en va tout naturellement s'attabler au café du palais afin d'arroser la victoire. On s'installe bruyamment, en se racontant la mine défaite et les injures du courtier débouté.
Le tenancier dut servir force pichets de beaujolais, car comme l' appétit vient en mangeant, il arrive parfois que la soif vous vienne après quelques verres.

Au bout de plusieurs pots, on s'avise de l'absence d'Ernest dit Nénesse.
Nénesse a une longue et solide carrière de buveur, et il n'est pas rare de trouver son tracteur en carafe, sur le bord d'un chemin, le nez dans une raie ou un fossé au bout du champ, son conducteur en train de ronfler dans la remorque, dans la luzerne ou , parfois même sous la remorque, les jours de mauvais temps.

Nénesse sans le savoir, vouait un culte à Bacchus, et lui rendait grâce chaque jour que le Dieu lui accordait de se réveiller.

Aujourd'hui, c'était jour d'action de grâce et Nénesse avait honoré la divinité avec un tel entrain redoublé, et une telle dévotion, que sa vessie lui rappela maintes fois les lois de la nature alors que ses libations répétées commençaient à affecter sa démarche et l'obligeaient à rechercher toute sorte de supports et de soutiens afin de pouvoir se mouvoir jusqu'au lieu d'aisance …

Mais Nénesse, depuis quelque moment demeure introuvable. On se met à sa recherche, sans succès jusqu'à ce qu'un certain Louis s'avise que la porte des cabinets est fermée, et qu'on y entend jurer et grommeller le dit Nénesse.

-"Nénesse ouvre!

-Peux pas, cré nom de Diou de milliards de vingt Diou ….".

La chasse d'eau se déclenche, suivie d'un bruit de cascade accompagné d'un nouveau chapelet de jurons.

On va quérir le tavernier, qui ouvre la dite porte, et l'on découvre Nénesse: Le spectacle est tel que l'assemblée de compères ne secoure pas tout de suite l'infortuné, mais se trouve prise d'un fou rire collectif et communicatif.


Leur camarade est assis au fond des toilettes à la turque, le pantalon aux chevilles, trempé, sa main accroché à la chaîne de la chasse d'eau.
Depuis de longues minutes, un quart d'heure ou plus , le pauvre bougre, saoul comme un cochon, tente de s'extraire des latrines. A chaque tentative de se remettre sur pied en tirant sur la chaînette, il a reçu un douche au fondement et il est retombé au fond du piège.
Ses acolytes hilares, l'aident enfin à s'extirper de sa posture aussi fâcheuse que ridicule.

On lui prête un caleçon sec, on le renculotte tant bien que mal, et le tavernier enjoint la compagnie de joyeux lurons de bien vouloir faire une pause dans la beuverie et de penser à rentrer dans ses pénates.

 

Commentaires

  • Guy (toi l'auvergnat qui sans façon),
    il faut que tu fasses un recueil des tes textes "souvenirs d'enfance (et de jeunesse) " qui sont dignes du meilleur de Marcel Pagnol: j'ai adoré "le procès bien arrosé", "le geyser", "le maître d'école aux champs", "frère Antoine"
    > on en redemande
    bien amicalement
    Thierry Martin

  • Merci Thierry, j'y travaille, j'accumule doucement mais je n'écris pas très vite...

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