Ecrit avec l’aimable autorisation d’Augustin Aurora:
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Mon arrière-grand-père paternel était meunier de son état, je ne l’ai pas connu, mais j’ai eu le temps de connaître son fils, qui a vécu dans les trois moulins, que son père a tenus successivement, sur l’Arroux, une petite rivière qui descend du rude Morvan pour se jeter dans la grande Loire.
Les temps étaient durs pour la famille du meunier qui élevait huit enfants dont mon grand père, tellement durs que la famille a du fuir ces terres du Morvan, après deux années de mauvaises récoltes qui avaient mis le moulin au chômage et affamé les paysans.
C’est ainsi que mes aieux étaient descendus dans la plaine pour louer une ferme dans le chalonnais, et que je suis là pour tenter de transmettre les histoires racontées par le grand-père morvandiau.
En ces temps là malgré les disettes et les épidémies, les étangs et leurs moulins nourrissaient les hommes du pays Autunois.
Mon arrière-grand-père, après plusieurs refus, à cause de sa famille nombreuse qui effrayait les propriétaires, avait réussi à louer un moulin près d’Autun, au lieu-dit Chazeu, sur l’Arroux.
Seulement, depuis quelques années, un mystère terrifiant plane sur ce moulin, sur la rivière et les étangs alentour.
Déjà en 1738, le deux avril précisément, Barbier le Curé de Saint Didier, relate la noyade inexpliquée, à l'Étang Gras de Nicolas Moreau , "valais de chevaux de diligence".
Quelques années plus tard, le neuf février 1766, le décès du fils du meunier sème le trouble. A l'heure de ses premiers pas, le jeune André Perrin est happé par la roue du moulin à l'âge de 17 mois.
En 1767, ce sont les membres de la famille Adnot qui décèdent mystérieusement. Laboureur aux rochers de Vouvre, chacun sait que Jacques Adnot braconne et pêche dans l'étang. Le chirurgien venu de Censerey n'a rien pu faire.
C'est l'arrivée du capitaine des louvetiers qui confirme les doutes des paysans.
En ce début d'hiver 1769, alors que les loups rôdent trop près du bétail et des enfants, le capitaine recevait dix livres pour chaque peau ramenée à la maison des seigneurs de Sussey, les paysans participant à la battue, deux livres.
Il fallait creuser les trous, mettre les pieux et jeter des poules vivantes qui servaient d'appâts.
Mais des loups pris au piège près de l'étang, il ne restait plus rien ou seulement une patte, une oreille ensanglantée. Parfois les fauves étaient retrouvés déchiquetés... Mais dans tous les cas, impossible de récupérer une belle peau de loup.
Depuis longtemps, on évoquait la Mère Louisine dans le pays. Non pas la vouivre, cet animal mythique rôdant dans les rochers du Morvan, mais la Mère Louisine, figure énigmatique séjournant dans les lacs et les étangs, se déplaçant de source en puits.
Personne ne l'avait jamais vraiment vue, mais tous les parents ont un jour ou l'autre interdit l'accès des points d'eau à leurs enfants au risque de se faire enlever et dévorer par la Mère Louisine.
Le meunier du lieu - André Perrin - malgré ses 70 printemps avait encore toute sa tête et toute sa vue. A l'auberge du Maupas, il affirmait avoir vu des bêtes dans son étang, un renard! lui avait-on répondu...
L'André n'avait rien dit mais il savait encore distinguer les traces sur l'étang enneigé, et ce n'était pas celles d'un renard.
La rumeur courait comme un cerf à l'aboi. Même le dimanche à la sortie de la messe, on parlait de la Mère Louisine. Excédé, le curé demanda l'assèchement de l'étang Gras pour en finir avec les rumeurs, suspicions, accidents et maladies.
Lui, le prévôt de Sussey savait que la Mère Louisine n'était qu'une histoire de fée pour faire peur aux enfants transmise par les Druides en souvenir de la fée Mélusine...
L'étang devenu prairie, nulle trace de la Mère Louisine.
Le moulin détruit par un incendie mystérieux, le deuxième fils d'André Perrin part pour le moulin du Maupas et la rumeur s'apaise.
La Mère Louisine n'est plus qu'une mauvaise légende, sauf que quelques mois plus tard un incident a lieu au moulin de Barnay ... A plus de cent vingt lieux de là.
Le moulin de Barnay disposait d'un bel étang mais une nuit la digue céde sous le poids de l'eau.
Peut-être... affirme l'André. Mais de l'ancien étang Gras, descendez le ruisseau de Nailly, passez devant le moulin Brûlard, le moulin Panneau, prenez la Suze, l'Arroux et remontez le Trévoux...Où arrivez-vous ?
Bien sur personne ne lui avait répondu puisque chacun connaissait la région.
C'était donc possible. La Mère Louisine, après son séjour à l'étang Gras avait détruit la digue de l'étang de Barnay à la recherche d'un nouveau lieu de quiétude.
Mon grand père avait vécu toute son enfance dans la terreur de l’être fabuleux et malfaisant, et de conclure:
"maintenant nul sait où se trouve la Mère Louisine…"
Aujourd'hui encore, à l'automne de ma vie, je ne peux m'approcher d'un étang ou d'une mare, sans ressentir l'angoissante présence de la bête.