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Mortelle randonnée.


Le grand Rayé s'est mis en route, à la tombée de la nuit; à l'entrée de la tanière, il fait une halte, il tend le cou, hume l'air froid et calme de ce début d'hiver qui porte les odeurs avec netteté.

Rien d'inquiétant dans le paysage olfactif qui s'offre à ses narines frémissantes: l'odeur forte et musquée d'une harde de sangliers est toujours là, bien qu'ils aient fourragé en début d'après midi, sous les grands chênes de la clairière.
Plus subtile et plus piquante, l'effluve, un peu plus récente, d'une sauvagine: Belette, ou plutôt fouine en maraude.

Rayé prend la piste, un de ces chemins invisibles pour l'homme, sentiers innombrables qu' il a tracé dans la forêt, mais aussi dans les champs, jusque même dans les cours des fermes, en un réseau, une toile d'araignée odorante, qu'il parcoure régulièrement, inlassablement, et qui le ramène immanquablement à son logis, même par les nuits les plus noires.
Ce soir, la nuit est claire, une moitié de lune scintillante dans un ciel pur et froid, éclaire la campagne, les arbres dénudés, les haies et les chemins d'une lumière pâle et nette.
Sans bruit, de sa démarche souple et élastique, le rayé trottine sur la sente, les sens aux aguets, il s'arrête souvent, pointe le bout de son nez, à la recherche de l'odeur d'une proie, à l'écoute des sons de la nature, du bruit qui trahira sa prochaine victime.
Sur le pont du bief, le gargouillis du ruisseau dans les racines des aulnes, plus loin, le hululement d'un petit duc en chasse, lui aussi.
Le rayé n'a rien mangé depuis ce lapereau, surpris, il y à trois jours, en bordure d' un champ de maïs, occupé à glaner quelques épis oubliés par les paysans.
Poussé par son instinct et ses sens aiguisés par le jeûne, il se retrouve bientôt en vue de la ferme de "la Feuillée".
En s'approchant, il distingue la silhouette sombre de l'habitation, et perçoit tout à coup une odeur qui le fait s'arrêter net, celle de Tantbelle la chienne beauceron, qui doit sommeiller dans sa niche. Du coup, le chat sauvage, qui se souvient d'avoir échappé de peu à un coup de mâchoire mortel, oblique en direction de l'étable, endormie et silencieuse, et passe devant le hangar.
Sa démarche s'est faite plus lente et plus prudente; les senteurs se multiplient maintenant en un mélange complexe où se mêlent les odeurs animales, des bovins couchés, endormis ou ruminant , celles végétales du foin et de la paille, humaines aussi, des hommes et de leurs femmes, enfin les odeurs des chats de la maison.
Parmi ce foisonnement, une effluve bien connue lui parvient et attire son attention.

Le rayé a perçu l'odeur familière et attirante de la volaille qui dort; tout son corps tressaille, les poils de son dos se hérissent légèrement; redoublant de prudence il s'approche à pas lents et feutrés du poulailler.
Aucun bruit, la porte de la bicoque de planches est bien ajustée, le paysan à qui le chat sauvage a déjà subtilisé quelques jeunes poules se méfie, et en a barricadé solidement l'entrée.


Le rayé fait le tour de la cabane, au sol pas d'ouverture, il saute lestement sur le tronc d'un vieux pommier qui jouxte le poulailler, puis bondit à nouveau sur une grosse branche qui a cassé et qui repose sur la bordure du toit de tôle rouillé; la branche par son poids appuie sur la tôle et la fait se soulever plus loin à la jointure avec la suivante, créant un espace de quelques centimètres. Le rayé glisse sa tête prudemment, toute le monde dort dans le poulailler, il se faufile sous la tôle ondulée, prend appui sur le chevron qui supporte la toiture, là cinquante centimètres plus bas, trois poules dorment sur une planche fixée au mur de la cabane.

La salive coule sur les lèvres du félin, son coeur a ralenti, sa respiration également, d'un coup sans aucune hésitation il s'abat sur la plus jeune des volatiles.
Il lui a saisi le cou dans sa puissante mâchoire et en écrase déjà les os dans un petit craquement, alors que le sang coule dans sa gueule.
Tout a été si rapide que l'oiseau ne s'est même pas réveillé, qu'il est déjà mort.
Les deux voisines, par contre se sont aperçues du danger et se mettent à piailler bruyamment, mais le rayé, galvanisé par le goût du sang, a bandé tous les muscles de son corps et d'une puissante détente a bondi sur la solive, dans un dernier effort il repasse dans l'ouverture à reculons, tirant sa proie derrière lui.
Encore un bond, il est au sol, une ou ou deux poules caquètent encore, mais le calme est revenu; un peu plus loin, le rayé s'arrête, relâche son étreinte et dépose sa victime au pied d'une haie.
Il se couche et savoure le sang chaud et onctueux qui s'écoule dans sa gueule, tout en se reposant des violents efforts qu'il vient de fournir.
Aux aguets, vigilant, il écoute, aucun bruit inquiétant, son forfait a été perpétré avec un luxe de discrétion, il peut se reposer un instant avant de dépecer.

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