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La veillée.

 

Les longues soirées de décembre étaient dédiées à la "veillée ».


Les soins aux bêtes terminés, le bois pour les poêles et la cuisinière rentré, le souper avalé, mes frères et moi partions en avance dans les rues désertées et enneigées du village, endormi sous son linceul de neige vierge.

 

Pas un souffle de vent sur le hameau saisi par le froid, nous marchons, avec mes frères, emmitouflés, nos pas crissant légèrement dans le feutre d’une profonde couche de neige fraîchement tombée.

Nous passons sans bruit devant les maisons calfeutrées aux volets clos, des villageois serrés autour des poêles, et des fourneaux, dans les rues désertées, envahies par l'odeur du bois et du charbon, s’échappant des cheminées fumantes.

Le froid est vif et mordant, il glace nos narines, et rougit nos oreilles, le village comme la campagne alentour est calme, et silencieux, figé, transi dans son manteau immaculé.

Pas un bruit dans le silence de la nuit, les sons sont étouffés par les flocons serrés qui tombent sur la campagne.
Seul un chien aboie, solitaire, du fond d'une cour de ferme, celle des Morin ou celle des Prin, de très loin un autre lui répond en écho.
La nuit est noire, seuls quelques réverbères de loin en loin nous indiquent le chemin par leur lumière blafarde.

Nous arrivons bientôt chez la tante Céline, la porte s’ouvre sur une cuisine, accueillante chaude et lumineuse.
Nos parents arrivent un peu plus tard, ils s’installent autour de la table et commencent à deviser.

On parle d’abord du temps qu’il fait , du froid qui s’est installé et de la neige, tombée en abondance, on se remémore la météo de l’an dernier, les hivers passés, plus rudes ou plus cléments.
On parle de la terre, des travaux de la ferme, des récoltes qui sont bonnes, du bois à couper dans les affouages, des animaux: une vache malade, la naissance d’un veau, le cheval qui vieillit et qu’il faudra remplacer au printemps.
On parle ensuite de la famille, de la santé d’un tel, de la naissance d’une autre et des décès surtout: ceux qui ont fini leur existence, faite d’amour, de peines mais surtout de labeur, et que l’on a accompagné dans leur dernière demeure, on retrace la longue litanie des aieux.
On ressort des photos, de mariage en particulier, et l’on passe un temps infini à redonner un nom à tous le visages, comme pour resserrer les liens ténus qui font de nous une famille.

Pendant ce temps, nous enfants, jouons un peu à l’écart avec les cousins, aux petits chevaux, aux dames, au mécano ou aux petites voitures, sans perdre une miette des histoires contées par les adultes.
Mon père raconte à nouveau comment, pendant la guerre, il s’est caché des jours durant dans les blés mûrs pour échapper au Service du Travail Obligatoire.
Les gendarmes s’étaient présentés à la ferme un beau matin de fin juillet.
Mon père, qui s’était levé de bonne heure pour aller chercher le cheval au pré, les avait vu arriver de loin, et avait fait demi tour.
Je ne me lassais pas de l’écouter raconter comment il avait enfourché César, l’avait mis au grand galop, puis l’avait laissé à la ferme de ses cousins, à la sortie du village.
Il était parti ensuite en courant dans les bois de « chaplace » où il s’était reposé de sa course folle, en nage et fourbu.
Il était sorti du bois à la nuit tombée, était revenu prudemment au village, par les sentiers et avait dormi dans le foin, dans la grange des Dubois.
Les jours suivants, il avait suivi le même manège après être passé donner de ses nouvelles à ses parents sur le coup des cinq heures du matin, il repartait avec une musette, remplie de pain, de lard et de fromage, puis s’installait tantôt dans les champs de blé des « poiriers » qui donnaient une vue imprenable sur le village et la route de Sennecey, que devaient emprunter les pandores, tantôt dans la forêt toute proche à l’abri des regards, sous les chênes centenaires et protecteurs.
Le coeur battant comme si cela s ‘était passé le jour même, ou la veille, je l’écoutais encore narrer, les yeux embués, ce jour funeste où il a vu, depuis sa cachette les « boches » emmener ses amis, cinq jeunes paysans dont j’ai oublié les noms, occupés à la batteuse, dans la cour des Pacaud, puis les aligner devant le mur de l’école et les fusiller, en représailles d’une attaque des maquisards sur un train, deux jours plus tôt.
Au bout d’une semaine de vagabondage, il était finalement rentré à la ferme, mais était resté sur ses gardes, restant le moins possible à la maison, dormant chez les voisins, dans les fenils ou dans les granges.


Le temps s’écoule doucement dans la vieille demeure, et pourtant nulle impatience chez nous, le feu ronfle dans la cuisinière, de bonnes odeurs de gâteau et de café mêlées nous disent que l’on va passer à table.


On déguste un gâteau aux pommes ou des beignets, et un vin chaud parfumé à la canelle, ensuite la goutte, de prune ou de poire pour les anciens qui parlent du nouveau curé, qui ne dit plus la messe en latin, du maire, qui s’est bien enrichi pendant l’occupation.
On demande comme à l’habitude, à l’oncle Gustave de nous montrer ses tatouages, réalisés en Allemagne pendant sa longue captivité.

Mon père raconte encore une vieille légende de son pays natal sur les méfaits des sires de Brancion.

Presque tous les Brancion se sont croisés, Bernard Gros II prit même deux fois la croix, et ce n'était pas trop pour expier un forfait dont la légende a perpétué le souvenir.

 Le terrible baron assiégeait le château fort de Lourdon appartenant à l'abbaye, et mettait tout le pays à feu et à sang. L'abbé lui envoya un messager porteur de pieuses remontrances, avec menace d'anathème s'il continuait ses exactions.

Bernard alors entra dans une épouvantable colère. Il fit attacher le moine ambassadeur à la queue d'un bœuf qu'on rendit fou en lui allumant un fagot entre les cornes. L'animal exaspéré par la douleur devint enragé; il fonça tête baissée à travers les bois en poussant d'affreux beuglements, et accrocha lambeau par lambeau, aux ronces des halliers, le corps de la malheureuse victime.

Bernard ricanait; mais la nuit il fut réveillé tout à coup par des bruits souterrains semblables aux mugissements
d'un bœuf affolé : il sauta de sa couche, tendant l'œil et l'oreille : tout reposait autour de lui, et la forêt dormait dans l'épaisseur des ténèbres.

Et le bœuf continuait de mugir en lui. Alors il comprit et fit vœu d aller en Palestine. Revint-il ? On ne sait. Mais immortelle est la voix du remords, car, aujourd'hui encore, pendant les nuits d'orage, aux flancs d'Huxelles et de Brancion, les gens du pays racontent que l'on entend beugler le bœuf enragé, et certains même assurent l'avoir entendu à diverses reprises en passant devant la "beurne de la garaude", grotte dont l'orifice débouche à la rencontre du chemin de Royer et de Martailly.

La veillée touche à sa fin, on s’embrasse, les enfants baillent, on se salue et nous reprenons le chemin de la maison, dans le froid mordant de la nuit bien avancée.
Rentré, je me couche dans le lit froid, sous l’édredon de plume. Ma mère remplit de charmille et de bouleau le poêle en fonte émaillée, le feu protecteur ronronne, et fait danser ses flammes au plafond de la chambre, j'entends le souffle paisible et régulier de mes frères déjà endormis, je sombre enfin dans un sommeil peuplé de rêves.

Commentaires

  • Cher ami

    Vous allez sur mes sentiers de raconteur et j'aime faire des veillées
    Franchement, je ne vois pas pourquoi vos textes ne passent pas la modération

    ça va venir

  • Oui je tiens cela de mon père et des grand pères qui contaient merveilleusement, pour AVOX je m'en fiche un peu, mais j'y aime le débat et la castagne...bien à Vous l'Orléaniste.

  • je crois revivre les veillées de mon enfance. c'était ainsi que nous apprenions, nous les petits les événements heureux ou malheureux de nos familles. Tout en jouant, les enfants tendaient l'oreille...ces veillées tissaient des liens précieux entre générations. Ces moments étaient "délicieux" ! Merci pour ton récit.

  • Bonjour Danielle, la télé, nos vies "modernes" et "Facebook" ont tué ces moments chaleureux et ô combien éducatifs, pour les enfants que nous étions, je tenterai cependant en "vieux con" que je suis de les remettre à l'honneur l'hiver prochain, je vous souhaite une excellente journée.

  • Incroyable d'être immergée ainsi dans les soirées d'hiver de notre enfance et ton écriture s'y prête à merveille ! Merci Guy.

  • Merci Nadine, j'ai la nostalgie de cette époque bénie où les familles étaient unies et réunies, l'hiver prochain je remets la veillée à l'honneur, quoiqu'en disent les jeunes cons...

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