LES SEIGNEURS DE BRANCION
D'où venaient ces hommes puissants qui choisirent le roc escarpé de Bran-
don pour y bâtir leur château fort et qui prirent leur nom de ce lieu ? Ce
sont des hommes de la conquête, et bien certainement de la conquête bur-
gonde ; leurs noms, — Warnulfus, Galterius, Bernardus, Willelmus, Landricus,
Gausceranus, — sont germains. Celui qui fut la tige de la Maison de Bran-
don devait être un guerrier renommé, un compagnon d'armes de Gondi-
caire, et, lorsque Gondioc, successeur de Gondicaire, partagea les terres con-
quises entre les Bourguignons et les Gallo-Romains, ce premier Brancion
reçut en récompense de sa valeur de grandes possessions, d'immenses terri-
toires, dans lepagus Cabilonensis et dans le pagus Matisconensis. Toutefois on
ne peut suivre la généalogie des Brancion depuis cette époque, parce que,
d'abord, nous n'avons pas de documents remontant si loin dans le cours des
siècles, puis, avant le xn c siècle, les seigneurs ne portaient pas encore le nom
de leur terre, et, de là, de grandes difficultés pour établir une filiation exacte.
Heureusement, cette dernière difficulté n'existe pas pour les Brancion : ces
seigneurs étaient si riches, si puissants, qu'on les surnommait les Gros, —
nous apprend le vieil historien Pierre de Saint-Julien de Baleurre ; or ce sobri-
quet, ce surnom, accompagnant toujours le nom du seigneur de Brancion,
Landricus Grossus, Bernardus Grossus, Jocerannus Grossus, — une erreur
devient impossible, depuis le xi c siècle, dans la généalogie de cette Maison.
WARNULPHE OU WARULPHE DE BRANCION
« En l'an iooo », écrit Guichenon, « vivoit un seigneur de Brancion qui
« n'est point autrement désigné au cartulaire de Cluny, et fut père de deux
« enfans, sçavoir Varulphe de Brancion et Gaultier de Brandon, prévost de
« l'Eglise de Mascon '. » Ici, Guichenon se trompe : ce seigneur de Brancion
vivant en l'an iooo, et qui n'est point nommé, n'est pas le père de Wamulphe
mais Wamulphe lui-même, puisque, en 996, Wamulphe de Brancion est cité
avec son frère Gaultier, prévôt de Mâcon, et Letbald, évêque de Mâcon, leur
oncle maternel, avunculus.
Dans le temps que Letbald était clerc, Mayeul, abbé de Cluny, lui donna
en précaire, en 978-979, une terre appelée Casoia. Letbald aliéna cette terre;
mais Wamulphe de Brancion et son frère Gaultier la restituèrent à Cluny
11 est encore parlé de Wamulphe ou Warulphe de Brancion dans une lettre
que le pape Benoît VIII 5 écrivit aux évoques et aux principaux seigneurs de
Bourgogne, contre ceux qui usurpaient les biens du monastère de Cluny 4 .
JOCERAND I DE BRANCION
Wamulphe ou Warulphe de Brancion eut pour fils Jocerand. Ce Jocerand
nous est seulement connu par une charte, postérieure à 1074, dans laquelle
Bernard de Brancion, religieux à Cluny, cite son grand-père paternel, avus,
Jocerand, et son père Bernard K
BERNARD GROS I
Bernard Gros, fils de Jocerand, est témoin, le 18 novembre 1039, d'une
donation faite au monastère de Cluny par une dame nommée Ermengarde 6 .
Par une charte datée de Cluny, sous le règne du roi Henry, Bernard, sur-
nommé Gros, Bernardus cognomento Grossus, donne à l'abbaye de Cluny les cou-
tumes qu'il avait sur un manse sis à Montigny, manse tenu par Theudinus;
il donne aussi à Cluny un serf nommé Muntelmus et ses enfants 7 .
Vers le même temps, entre 1040 et 1060, Bernard Gros étant à Mâcon, devant
l'autel de saint Vincent, martyr, en présence de l'évêque Gaultier et des cha-
noines de l'Église de Mâcon, donne auxdits chanoines la dîme de sa conde-
mine de Sercy, dans la paroisse de Sainte-Marie d'Ameugny ' ; il leur cède
également un setier de vin et un pain que ses ministres, ses officiers, minis-
tri ejusdetn Bernardi, devaient prendre des hommes des chanoines de Mâcon 2 .
Tout en faisant des largesses aux chanoines de Saint-Vincent de Mâcon, le
seigneur de Brancion s'emparait sans scrupule des dîmes et des revenus que
l'Église de Mâcon percevait sur des domaines compris dans la terre de Bran-
cion. L'évêque Gaultier de Beaujeu le menaça de l'excommunication. Comme
alors les puissants barons ne craignaient et ne redoutaient que les foudres de
l'Église, Bernard Gros vint, en 1046, demander pardon à l'évêque de Mâcon
et restitua au Chapitre tout ce qu'il avait usurpé sur leurs biens K
Plus tard, entre 1063 et 1070, Bernard Gros, reconnaissant que ses ancêtres
avaient injustement retenu la villa de Chissey 4 , villa Ciciacum, fit donation de
cette villa aux chanoines de Mâcon. Quelque temps après, Jocerand, Gauscerar
nus, et Bernard, fils de Bernard Gros, demandèrent humblement à Drogon,
évêque de Mâcon, la cession de cette terre à titre précaire. Drogon accéda à
leur requête et leur céda la villa de Chissey de la même manière que l'empe-
reur Charles l'avait jadis donnée à l'Église de Saint-Vincent, excepté que
l'Église de Mâcon aura la justice sur la terre de Chissey et percevra chaque
année, à la fête de saint Vincent, à Chissey, douze deniers de cens. Après la
mort de Jocerand et de Bernard, les biens concédés feront retour à l'Église de
Saint-Vincent de Mâcon 5 .
Au commencement de l'année 1070, Bernard Gros, chevalier, miles, remet
aux religieux de Cluny, terres qu'il leur avait injustement disputées ; ces
terres étaient sises à Saint-Hippolyte, à Montagny et à Vaux 6 ; son fils Jocerand est cité dans cette charte x . A la même date, Bernard Gros fait savoir de
nouveau qu'il donne à Dieu et aux religieux de Cluny le clos du Mont a , à la
louange de ses fils.
Bernard Gros, seigneur d'Uxelles, de Brancion et de Blanot, fit construire
le château d'Uxelles au temps de saint Hugues, abbé de Cluny 4 ; il alla à
Rome demander le pardon d'un anathème qu'il avait encouru pour avoir com-
mis des déprédations sur les terres des Clunistes, et, à son retour, il mourut à
Sutri $ ; ce décès arriva avant le 10 juillet 1070.
Bernard Gros avait épousé, en 1035, une dame nommée Ermentrude ou
Aremburge. Cette dame nous est connue par les deux chartes suivantes :
Ermentrude, femme de Bernard de Brancion, Ertnentrudis, uxor Bernardi Bran-
cedunensis, donna au monastère de Cluny, avant la mort de son mari, un
manse à Lium y et ce qu'elle avait à Nocles, à Caisiaco et à Macheriaco '. Vers
le même temps, Ermentrude, tnulier Bernardi Branceduntnsis, donna au même
monastère de Cluny, pour sa sépulture, des terres à Culles, à Collonges et à
Chessy 7 .
Du mariage de Bernard Gros et de dame Ermentrude vinrent :
Landric Gros, qui fut seigneur de Brancion ;
Artaud, doyen de Lourdon ;
Bernard, prieur de Saint-Marcel en 1093, puis grand prieur de Cluny;
Landric, moine à Cluny;
Jocerand, moine à Cluny, mort vers 1 100, inhumé à Cluny ;
Seguin ;
Hugues ; •
Bonspar ;
Norbert de Brandon, marié à Dalmace de Gintio.
Jocerand et Bernard, moines à Cluny, sont au nombre des bienfaiteurs du
monastère. Lorsqu'il prit l'habit religieux, Jocerand Gros, à la louange de son
frère Bernard, donna à l'abbaye de Cluny sa condemine de Sercy, à Ameugny,
et son pré de Cortevaix a . Le 10 juillet 1070, Jocerand, fils de Bernard Gros,
et ses frères Bernard, Bernh ardus, Landric, Hugues et Bonspar, donnent au
monastère de Cluny, pour le remède de l'âme de leur père Bernard, une très
bonne vigne, unam vineam opiimam, avec la maison, le pressoir et un bois ; le
tout sis au comté de Chalon, au pays de Mont K En 1074, Jocerand confirma
les anciennes donations faites au monastère de Cluny par ses ancêtres ; ces
biens étaient tenus par Dalmace, chevalier de Jocerand, miles meus Dalmacius ;
la charte concerne aussi l'église de Saint-Martin dans le village à'Ainai 4 .
Bernard Gros, moine à Cluny, donne à ce monastère la condemine de
Talangunt, une vigne, un serf nommé Rodolphe, la femme de ce serf, leur
maison, le manse de Clément, cet homme, sa femme, leur fils, leur fille et la
femme de leur fils ; donation faite à la louange de Humbert de Cortevaix et
approuvée par Landric Gros, frère de Bernard $ . Quelque temps après, Bernard
Gros, frère de Jocerand et fils de Bernard, confirme les donations faites à
l'abbaye de Cluny par le moine Jocerand Gros. Celui-ci avait donné à Cluny
pour le remède de son âme, de celle de son grand-père paternel Jocerand, de
son père Bernard, et de tous ses parents, l'église d'Ainai, en Maçonnais, trois
condemines à la grange de Sercy, le pré de Vaurerdla, et la franchise de ses
hommes de Confrançon, in Curtfrancean 6 . Vers 1093, Humbert et Roclenus con-
firment, entre les mains de Bernard Gros, prieur de Saint-Marcel, une dona-
tion faite à cette abbaye par Guy le Roux, leur frère 7 . Bernard Gros devint
ensuite grand prieur de Cluny. Son frère Jocerand Gros fut aussi prieur de
Cluny ; il reçut en cette qualité, — in manu domni Jo^eranni cognomento Grossi,
tune temporis prioris Cluniacensis, — une donation faite à son monastère par
Durand de Saint-Nicet et par son frère Guy ; les témoins de cette donation
sont les trois nobles hommes Ansédée du Blé, Humbert le Hongre et Geoffroy de
Cluny.
Pour le repos de l'âme de leur grand-père paternel Jocerand, de celles de
leur père et de leur mère, ainsi que de tous leurs ancêtres, Landric et Bernard,
son frère et cohéritier, donnent aux religieux de Cluny, le 6 avril 1087, ce qu'ils
possèdent à Malay dans le pays maçonnais.
On trouve vers ce temps un autre Jocerand Gros, qui me paraît frère de
Bernard Gros, seigneur de Brancion. Ce Jocerand est désigné sous le nom
de Jocerand Gros du château d'Uxelles de castro Uscela. En 1074, du consen-
tement de Guy, comte de Mâcon, Jocerand Gros du château d'Uxelles donne
à l'abbaye de Cluny l'église de Saint-Laurent-lès-Mâcon, de l'autre côté de la
Saône, un manse à Command, dans la paroisse de Cray, trois condemines à
la grange de Sercy, un manse avec un serf nommé Lébald et ses enfants, i
Mont, un autre serf nommé Girbaldus avec ses enfants, habitant le village de
Casenuoles 6 .
Le 15 juin 1100, Seguin de Brancion est témoin d'une donation faite aux
religieux de Cluny, par Etienne de Neublans, de tout ce qu'il possédait dans
les villages de Blanot, de Prayes et de Chissey, au comté de Mâcon 8 .
Quelques années auparavant, vers 1096, Hugues li Abondant frère d'Etienne
de Neublans, avait donné aux mêmes religieux, entre les mains de Hugues,
abbé de Quny, de Jocerand, prieur, d'Artaud, doyen de Lourdon, et en pré-
sence de Landric Gros, ce qu'il possédait dans la justice et dans le village de
Blanot.
LANDRIC GROS
Landric Gros était seigneur de Brancion au mois de juillet 1070. Vers ce
temps, il donne au monastère de Cluny ce qu'il possède depuis le chemin
allant de Talangunto jusqu'au bois de Tremble, jusqu'au village de Taise et
jusqu'au bois de Troncy ; le seigneur de Brancion reconnaît aussi aux moines
la possession de tous les biens qu'ils ont achetés ou échangés dans les limites
portées dans sa donation ; Bernard Gros, alors grand prieur de Cluny, frère de
Landric, autorise cet acte. Par la même charte, Landric Gros donne encore à
l'abbaye de Cluny un serf nommé Robert, sa femme, son fils et le manse où
habitait ce serf, un autre serf nommé Mus, sa femme, ses fils et leur terre, et
tous les serfs qu'il a dans les villages de Command a et de Sercy ; enfin, par
ce même acte, Landric Gros et Bernard approuvent une donation faite aux
religieux de Cluny, par leur frère Jocerand, d'un serf nommé Engiklmus, de sa
femme, de ses fils et de la terre cultivée par cette famille. Témoins : Engel-
bert de Cortevaix, Mus de Cray, Bertrand de Vers '.
Bernard Gros, seigneur de Brancion, avait donné à l'église de Saint-Vincent
de Mâcon la villa de Chissey. Après la mort de Bernard, son fils Landric Gros,
en présence de Landric, évêque de Mâcon 4 , d'Odon, doyen, et des chanoines
de l'Église de Mâcon, confirma la donation faite par son père et y ajouta les
droits qu'il pouvait avoir à Chissey. Jocerand et Bernard, moines à Cluny et
frères de Landric Gros, confirmèrent également la donation de défunt Bernard
Gros. Les témoins de cette charte de confirmation furent : Letbald de Digoine
et son fils, Ansédée de la Tour du Blé, Claire de Rais ou de Crais, Jocerand et
Ingelbert de Montagny, frères, Humbert le Hongre, Robert de Bresse, Hugues
de Fais, Bertrand de Vers $ .
Malgré leurs nombreuses donations au monastère de Cluny, les seigneurs
de Brancion restaient, de père en fils, les ennemis pour ainsi dire irréconciliables des Clunistes; pour ces puissants barons, la force, la violence, rem-
plaçaient le droit et, parfois, ils devenaient de véritables brigands de grand
chemin. Un jour la sentinelle, la guette, de Brancion signale un convoi sur
les terres de Landric Gros : c'étaient des marchands de Langres se rendant à
Cluny. Le seigneur de Brancion s'élance à leur poursuite et s'empare de leurs
denrées. Cependant, sur les réclamations de l'évêque de Langres et de l'abbé
de Cluny, il consentit à en rendre une partie. Mais les marchands, afin de
recouvrer le surplus et acquérir la faculté de passer dorénavant sans aucune
exaction sur les terres du seigneur de Brancion, accordèrent de lui payer
annuellement une redevance. Cet avantage encouragea Landric Gros : à partir
de ce moment, il arrêtait, ou faisait arrêter par ses gens, toutes les personnes,
— marchands, pèlerins ou autres, — qui passaient sur ses domaines et leur
imposait un droit de péage. Comme les religieux de Cluny étaient obligés de
payer le péage, cette mesure les inquiétait; ils sollicitèrent et prièrent Landric
de s'en départir; à l'instigation de Bernard, chambrier de Cluny et frère de
Landric Gros, il fut accordé que, moyennant trois cents sols, ce droit serait
racheté du seigneur de Brancion tant pour les moines de Cluny que pour
toutes autres personnes passant sur les terres de ce seigneur. Jocerand, fils de
Landric Gros, est témoin de l'accord x .
Vers ce temps, Landric Gros réclamait aux Clunistes un serf, nommé Hum-
bert, qui leur avait été donné par dame Amélie ; mais peu après, en 1080, le
seigneur de Brancion reconnut que ce serf et sa famille appartenaient bien au
monastère de Cluny, confirma la donation de dame Amélie, ainsi qu'une
autre donation faite au monastère par Durand Bastart, à la louange de Hum-
bert de Cortevaix, et comprenant un journal de terre au long de la condemine
de Confrançon *. A peu près à la même date, Landric Gros vendit aux parents
de Hugues, célérier de Cluny, un manse à Sercy ' tenu par Gandolgarius ; Lan-
dric Gros reçut une cuirasse, unam hrkam, valant cent sols 4 .
En présence de sa femme Ermengarde, Bernard Gros avait donné au monastère de Cluny une de ses serves nommée Eldiarde, femme de Durand, serf de
Saint-Pierre de Cluny, ainsi que ses fils et ses filles. Après la mort de Ber-
nard Gros, Landric Gros, son fils et héritier, beres et filius, prétendit que cette
serve et sa descendance lui appartenaient. Mais vers i ioo, sur les remontrances
d'Artaud et de Bernard, ses frères, en présence de Hugues, abbé de Cluny, de
Jocerand Gros, son fils, et à la louange de ses autres enfants, le seigneur de
Brandon abandonna ses prétentions et remit Eldiarde et sa famille au monas-
tère de Cluny '. A la même date, Landric Gros est témoin d'une donation
faite aux Clunistes par Jocerand de Beresi % et, en iioi, il assiste à un accord
intervenu entre Eudes, duc de Bourgogne, et l'abbé de Cluny, au sujet de la
justice de Givry '.